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  • Photo du rédacteurEliana G.

À mon père



Il y a un an déjà j’ai perdu le premier homme de ma vie : mon père.


Papa, le 5 mars dernier tu nous as quittés, alors que je t’avais retrouvé depuis quelques heures seulement, après 12 années d’absence!

Lorsque je suis arrivée à l’hôpital, je ne m’attendais pas à te voir si mal en point. Dans ma tête, j’allais retrouver mon papa, cet homme joyeux, dynamique, vivant et bruyant qui s’en sortait toujours des situations les plus difficiles. Et me voilà devant toi, émue, démunie, ne sachant que dire, essayant de me faire toute petite pour ne pas déranger ton sommeil. J’ai tenu ta main et fermé les yeux, pour un instant je voulais être cette petite fille tenant la main de son

père pour aller faire un tour, un tour de vie.



Christo Pierre Hadji Georgiou né en 1928, huitième d’une fratrie de neuf enfants, et famille d’immigrés grecque, plus précisément de l’ile de Samos, fuyant le règne Ottoman pour s'installer au Liban. Passé le certificat d’études à l’âge de 11 ans, comme toutes les familles modestes de l’époque, tu as commencé à travailler te découvrant par la suite une grande passion pour les sports : le ski et le basket ball.


Ayant quitté l’école jeune, cela ne t’a jamais empêché de vouloir toujours en apprendre plus; avide de connaissances, de littérature, tu garnissais la bibliothèque familiale des plus grands classiques, des plus belles encyclopédies, parce qu’à l’époque c’était la mode des gros volumes. Qui n’en avait pas des Universalis! Tu nous encourageais à lire, à entreprendre de hautes études; tu nous bâtissais des rêves, des ambitions, ceux que toi-même tu n’avais pas pu réaliser, chose qui souvent créait de vives discussions entre nous.


Puis il y a Christo le grand sportif, le passionné de sports. Le champion de Basket Ball des années 50! Joueur émérite qui faisait des miracles sur le terrain, le meilleur lanceur de trois points!



Je n’ai pas connu ce Christo-là, je n’étais pas née encore à l’époque. Je me souviens juste des médailles et des coupes qui ornaient les étagères, de ce grand sportif, de ce coach que tous ses élèves idolâtraient. Je crois même que parfois j’étais jalouse de cette complicité entre tes élèves et toi, tu étais si fier de leur progrès et de leur réussite, ils étaient si heureux de t’avoir comme entraineur. Le ski alpin faisait grande partie de tes activités aussi, les compétitions, les voyages sportifs organisés. Encore toute jeune j’essayais de vous suivre sur les pistes, toi, ma sœur et mon frère, mais j’avoue que cela n’était vraiment pas mon fort.


En fait, tu étais un passionné qui se donnait corps et âme pour tout ce qu’il entreprenait.



Christo, durant toutes les années de guerre qui rongeait ton pays adoptif, le Liban, je n’oublie pas ton dévouement, tes sacrifices, ta générosité. À l’époque tu travaillais pour Air France, et tu en as aidé des gens à fuir le pays! Lorsque tu as été affecté à Chypres pour accueillir des bateaux et des gens en masse fuyant un pays déchiré, tu as été nommé « Christo, l'ambassadeur des libanais »; tu donnais tout sans jamais rien demandé en retour. C’était ton côté humain et l’amour pour ton prochain qui refusait de voir son peuple humilié : tu étais là pour leur redonner de l’espoir, un semblant de joie et un nouveau départ en dignité à tous.


De la joie tu en partageais en quantité : bon viveur, tu aimais tant recevoir et partager les vins que tu choisissais en bon connaisseur, tu racontais d’interminables blagues, les mimais si bien que tu gardais ton auditoire en haleine ponctué de fous rires, souvent même on te comparait à Louis de Funès!


Puis il y avait la danse. Oui la danse. Tu étais un excellent danseur comme il y en a plus de nos jours.

Un air de tango qui envahit les ondes et je te vois encore tournoyer avec maman dans le salon de notre ancienne maison. Lorsque vous dansiez, plus rien n’existait que vous deux : toute une question de communication, d’alchimie et de complicité bercés par de gracieux mouvements. Valse, tango, sirtaki, boléro, à chaque air sa magie.




Cette magie tu nous l’as ancrée à tous dans notre âme, nous avons tous hérité ce rythme, cette joie de vivre; cette joie de vivre hélas que tu avais perdu ces dernières années. Plus tu prenais de l’âge, plus tu te repliais sur toi-même; la peine au cœur de voir partir tes anciens compagnons des années sportives et tes collègues de travail.


Papa, t’aimer, c’est une évidence. Même si on ne se l’est pas dit durant toutes ces années, qu’on ne se l’est pas montré. Tu es mon papa de la vieille école, avec des principes à l’ancienne, de belles valeurs que tu nous as transmises. Avec des défauts aussi, tu étais râleur, souvent têtu et rancunier mais aussi généreux, honnête, fiable et solide, tu étais un homme comme on n’en fait plus.


Solide, c’est le mot. Je te voyais solide comme un roc, inébranlable. Mais voilà que je suis devant toi à l’hôpital, j’ouvre mes yeux et je réalise que je n’étais vraiment pas préparée à te voir fragile, diminué, sans forces. Tes larmes m’ont parlé, tes larmes ont essayé de rattraper le temps passé, et j’ai compris alors toute la force de notre lien, tout l’amour qui me lie à toi.

J’ai juste compris que j’avais terriblement besoin de toi, que tu étais et a toujours été un pilier dans ma vie, et je te croyais si intouchable que mon cœur de petite fille s’est mis à saigner. Je n’étais plus une femme, une mère, je suis redevenue ta fille, une petite fille perdue, tout simplement.


Quelques heures seulement après nos retrouvailles, tu t’es endormi pour toujours. C’est comme si tu n’attendais que notre rencontre pour partir en paix, vers l’infini, pour te reposer et veiller sur nous tous de l’au-delà.

J’ai voulu être là pour te préparer vers ce long départ. Ton visage était serein et doux, tu souriais comme si tu retrouvais ta joie de vivre d’antan. J’ai pu t’approcher, te tenir la main et te donner un dernier signe de tendresse, cette tendresse qui m’avait tant manquée…Je t‘aime papa…




Tes funérailles se sont passées exactement comme tu l’aurais voulu : la famille s’est retrouvée unie; quelques-uns de tes anciens amis et collègues sont venus et j’ai eu le privilège d’écouter des récits de votre jeunesse. Les soirs en famille, nous avons visionné les films 8mm que tu prenais lorsque nous étions petits. Des fous rires à se rappeler tant de belles choses, tes blagues, à lire les articles qui parlaient de toi…le fameux champion de basket ball lanceur de trois points. Tu vois papa, tu as laissé de belles empreintes et des éclats de rire pour continuer à peupler nos souvenirs et l’avenir. Tu aimais la vie, les rencontres, les bavardages, la fête, le champagne. Tu adorais le rire et l’humour. Je crois que je sais aujourd’hui d’où je tiens l’amour du plein air, cette volonté d’aller vers autrui, d’aider les autres et ma joie de vivre. Tu me l’as transmise.


Pour cet amour de la vie, ce brin de folie, pour cela... je te dis merci.



Papa, ce texte se veut un hommage pour la vie que tu as eue, pour la vie que tu nous as donnée, pour la vie que tu nous as apprise, ce texte est une reconciliation. Je sais que tu n’étais pas parfait, nous avons eu nos différents toi et moi, de longues années de silence, mais sache que tu m’as permis de devenir ce que je suis aujourd’hui et j’en suis fière.


Pour cela...je te dis merci.


Aujourd’hui, il ne me reste que ces petites choses de la vie qui peuplent mes souvenirs,  qui réchauffent mon cœur et accompagnent mon quotidien : choisir un bon vin, écouter une mélodie et danser sur un air que tu aimais, prendre mon temps de choisir un bon fromage ou une charcuterie, faire des mots fléchés, jouer au scrabble, regarder des émissions sportives et l’amour pour le plein air. À chaque montagne que je gravirai je t’enverrai une pensée tendre, et par le biais d’une douce brise je sentirai ta présence.


Papa, je vais devoir poursuivre la vie sans toi. Je te porterai dans mon cœur. Même si tu ne sembles pas être avec moi, même si je ne peux pas te toucher, te parler ou t’entendre, je sais que tu veilleras sur moi.


Repose en paix Christo....



... je t'aime papa


Eliana G.

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